dimanche 1 mai 2011

Jan Fabre, un artiste hors du temps

Jan Fabre est un artiste que nous pourrions qualifier de pluridisciplinaire, dessinateur, plasticien, performer, auteur, homme de théâtre, chorégraphe, éditeur… Il puise ses références dans tous les domaines de créations : art, sciences naturelles, philosophie, littérature, religion… Rien ne lui échappe. 

L'artiste flamand, Jan Fabre, qui avait soulevé la polémique et, de ce fait, acquis une certaine notoriété en France en 2005 au festival d'Avignon avec des pièces évoquant le sang, l'urine ou autres humeurs, était l'invité du Louvre du 11 avril au 7 juillet 2008 pour une "carte blanche" dans les salles des écoles du Nord, D.R

 Un adolescent sur les pas d'un grand-père ...

Né en 1958 à Anvers en Belgique, Jan Fabre âgé alors de 18 ans va faire son premier voyage à Bruges à la rencontre des grands maîtres flamands. Ce face à  face est alors pour  lui l’élément qui déclenchera sa passion pour  l’art. Son rapport à l’art devient alors un dialogue entre une œuvre et lui-même, il regarde l’œuvre mais l’œuvre le regarde également. En 1978, deux ans après cette expérience visuelle, Jan Fabre plante sur le terrain de ses parents une tente baptisé Le Nez, qui va alors lui servir de couchette, laboratoire, atelier, refuge…

"Le Nez" de Jan Fabre, D.R

En voyant cette petite tente, on croirait voir un abri de nomade mal tendu par trois piquets de tente, fixé par des ficelles et des pierres. Elle symbolise à elle seule la fragilité, l’abri, le risque, le danger, la perte, la solitude, compagnons récurrents de l’artiste et de sa création. A l’intérieur, pour simple usage quotidien, une table de travail plate, une valise bleue en cuir, divers flacons contenant des teintures et insectes et un microscope, symbole de l’exactitude scientifique, visant l’observation précise. Depuis son plus jeune âge, Jan Fabre est fasciné par le travail de longue haleine que sa mère accomplissait chaque année, à savoir  remplir de fruits et de légumes d’interminables rangées de bocaux à stériliser pour passer l’hiver. Pour le jeune Fabre, ce rituel a quelque chose à la fois d’apaisant et de magique. Dans ces bocaux, le jeune Fabre fait un réel travail de conservation : des mégots de cigarettes, des allumettes, les débris d’une assiette cassée, des mouches mortes, des morceaux de poupée, des sécrétions corporelles, des mèches de cheveux, des stylos à bille, du sel, du beurre, etc... Tel était le laboratoire de Jan Fabre à ses débuts.

Cette espace de vie restreint se trouve donc tout entier dédié à la recherche qui consistait pour lui à tuer, à épingler, conserver et classer les insectes. Passion qui lui vient de son grand père,Jean-Henri Fabre, le célèbre entomologiste dont les écrits furent pour lui une inspiration continuelle. 

"L'heure bleue", plusieurs panneaux entièrement recouverts de bic bleu, D.R

Dans ses compositions, Jan Fabre reprend un symbole qui le suit depuis ses débuts et qu’il tient justement de son ancêtre : les insectes. Cette fascination et utilisation récurrentes le place lui-même au rang  d’entomologiste, un amoureux des insectes comme symbole de la métamorphose, comme objets d’intenses investigations. Cette filiation repose surtout sur les dessins formés par des traces d’insectes, par l’utilisation des élytres de scarabées comme matériau de ses sculptures, de mise en scène murale et en volume.

Un homme de la performance ...

«  A 18 ans je suis allé à Bruges pour voir les peintures des primitifs flamands représentant le Christ, ses plaies de mutilation et de flagellation. Et là, j’ai découvert le body art et la performance. » observe Jan Fabre

Après ses études à l’Académie royale des Beaux-Arts et à l’Institut des arts décoratifs d’Anvers, il réalise des performances et des actions provocantes qui lui forgent une place dans l’histoire de l’art. Dessinateur avant tout, c’est grâce à ses innombrables séries d’œuvres Bic Art qu’il est découvert par le grand public. Le Bic Art  est l’une des façons de travailler que Jan Fabre reprend le plus dans son  œuvre. Il s’agit pour lui à l’aide de stylo bille bleu, de dessiner  de gribouiller et de remplir  de très grandes surfaces de cette couleur par de fins traits superposés qui laissent apparaître des figures, des animaux surgissant parmi ce fouilli de traits.  La couleur qu’il apprécie pour son aspect industriel, n’est pas choisi par hasard. Elle évoque chez lui plusieurs choses dont la poésie, la couleur naturelle des carapaces d’insectes mais surtout elle rend hommage au bleu des primitifs flamands. 

De nombreuses performances au Bic bleu  vinrent s’ajouter à ses premiers dessins. Nous pouvons notamment mentionner sa performance installation Ilad of the Bic-Art, The Bic Art room (1981) . Il s’agit d’une pièce entièrement recouverte d’un revêtement blanc, à l’intérieur de laquelle Jan Fabre est resté enfermer pendant 72 heures avec une caméra enregistrant ses faits et gestes. Sur les enregistrements nous pouvons voir Jan Fabre en train d’écrire, de dessiner sur toutes les surfaces disponibles : murs, sol, lit, vêtement et sur son propre corps. Il se considère alors comme une page blanche et reçoit l’écriture comme une mutilation .

"The Bic-art room", D.R
Son œuvre majeure de Bic Art reste tout de même le château de Tivoli (1990) qui malgré son gribouillage au Bic bleu collectif reste un travail de grande envergure qu’il fallait oser. Un château, patrimoine français, recouvert entièrement de bandes de papier bleu s'est trouvé confronter à quelques réticences mais cette performance permet cette fois de mettre en valeur un site de manière originale et réfléchie.
Le château de Tivoli entièrement recouvert de panneaux gribouillés au bic bleu, D.R
«  Mon imagination fonctionne sur le mode de l’obsession. Mon imagination est incapable de s’arrêter… Je dessine quelquefois comme un maniaque obsédé. C’est une obsession et pour bien faire sentir l’obsession il faut toute une série d’œuvre. » Jan Fabre
Mais Jan Fabre va encore au-delà de cette démarche répétitive de patience intarissable. Il met à mal son corps en s’ouvrant les veines afin d’en extraire le sang et de l’utiliser, en le mélangeant à des pigments, comme un outil de création.  Par cette pratique Jan Fabre reste dans cette inspiration qui lui est si chère à savoir les primitifs flamands qui peignaient déjà avec du sang mais également avec des os. Ce mélange leur permettait d’obtenir une qualité exceptionnelle.
L' Ange de la métamorphose, une commande publique du musée du Louvre ...

Il était donc logique que Jan Fabre expose pour deux grands musées dont Le Louvre. Comme il le dit lui-même « c'est ma tradition. J'ai des reproductions de Bosch, Van Eyck ou Rubens dans mon atelier", dit-il. "Ils m'ont inspiré dans le passé", ajoute l'artiste. Les œuvres présentées au Musée du Louvre lors de cette exposition des "Anges de la Métamorphose" furent également présentées au Musée Royal des Beaux Arts d’Anvers, ville natale de Fabre.  La seule consigne:  établir « un dialogue entre artistes du passé et artiste vivant pour montrer une similitude d’univers, de vision du monde et la permanence au-delà des mutations matérielles et formelles de certains thèmes » selon Marie-Laure Bernadac, commissaire de l’exposition.

Plus de deux ans de préparation lui furent nécessaires afin de tisser une « dramaturgie mentale » pour dialoguer avec les artistes du passé. Un défit au combien réussi puisque la confrontation de soixante œuvres du Jan Fabre avec les peintres classiques (Van Eyck, Metsys, Memling, Rembrandt, Rubens, Vermeer, Van Der Weyden, Bosch) des 39 salles du département de l'école du Nord, au musée du Louvre, est parfaitement accordée.


Quelques exemples ...

Je me vide de moi-même (2007) est une sculpture composée d’Acier, de polyester, de cheveux, de textile, de pompe, de sang artificiel et de vêtements et présentant les dimensions suivantes 165x56x50 cm est un autoportrait de Jan Fabre lui-même, situé dans le hall d’entrée.

"Je me vide de moi-même" (2007), D.R

L’artiste se cogne sur un tableau de maître, ici la copie du Portrait d’un juge de camp (1450-1500) de Roger Van der Weyden. Le visage de l’artiste ainsi que son corps sont collés au tableau. Il y a une rencontre violente entre un homme, artiste et individu, et une toile de maître. Le sang coule de son nez, dégouline sur les habits du mannequin et se termine en une flaque de sang  qui s’étend sur le sol à ses pieds. Sur le cartel, nous pouvons lire « L’artiste aborde l’exposition en abandonnant sa vanité » .


"Autoportrait au plus grand ver du monde" (2008)

Autoportrait en plus grand ver du monde (2008) est l’une des créations spécialement conçues pour la salle Rubens du Musée du Louvre. Cette installation impressionnante recouvre, par ces 470 tombes en granit disposées en vrac, l’ensemble du parquet.  Ses dimensions 22x5,5x1m lui confère une assise massive et spectaculaire qui porte l’ensemble des peintures dédiées à Marie de Médicis.  Le ver de terre en silicone met, bien évidemment, ce champ de pierres tombales en relief. Jan Fabre a aussi utilisé des poils, de l’or, de l’herbe en plastique, du bois et de l’acier. Certaines pierres tombales portent le nom et les dates d'un artiste, d'un écrivain ou d'un philosophe illustre associés à des noms d’insectes. Ces blocs de granit se retrouvent aux pieds des 24 toiles qui représentent Marie de Médicis une déesse puissante, en opposition à ces représentations divines, il a décidé de se représenter comme un ver de terre qui possède son visage vieilli. 

Salvator Mundi  traduit Le sauveur du monde (1998), D.R

Passons à présent à une œuvre de Jan Fabre qui réunit l’ensemble des matériaux utilisés précédemment à savoir les élytres de scarabées (aile antérieure des coléoptères ne battant pas pendant le vol mais protégeant au repos l’aile postérieure), les os, une armure, du fil de fer et des cheveux d’ange. Il lui a donné le nom de Salvator Mundi  traduit Le sauveur du monde(1998).  Elle est composée de trois éléments : une main gantée d’armure qui tient une boule recouverte d’élytres à laquelle est fixée une colonne vertébrale. Cette œuvre dialogue avec le tableau de Jan Provost, Le Cosmos sous l’œil et dans la main de Dieu, en présence du Christ Juge et de l’Eglise. Sur ce petit panneau, les yeux sont portés par de petites et de grandes mains. Dans l’œuvre de Fabre, la boule qui est en réalité un globe terrestre est porté par cette grande main métallique. Mais le scepticisme est porté sur le propriétaire de cette main qui sauve le monde : Le Christ ? L’artiste ? Un chevalier ? Ce guide terrestre ne donne pas naissance à une croix mais à l’homme, représenté par sa colonne vertébrale dressée, et couverte de cheveux d’ange. « Le globe représente la pensée horizontale (le pouvoir et la connaissance des insectes), la colonne vertébrale, la pensée verticale (pouvoir et connaissance de l’homme). Cette œuvre matérialise donc la métamorphose, le passage d’un état à l’autre, de la matière à l’humain et à l’esprit.

Aucun commentaire: